Cet arrêt intéressant du Conseil d’Etat est une illustration de l’admission, peu fréquente, par le juge de l’existence de difficultés techniques et financières justifiant le recours à une entreprise générale. La haute juridiction apporte également une précision intéressante sur les modalités d’appréciation de la capacité technique des candidats.
En l’occurrence, au terme d’une procédure d’appel d’offres ouvert, le département des Yvelines a attribué un marché public de travaux de restructuration et d’extension du lycée franco-allemand de Buc à un groupement constitué des sociétés Eiffage construction habitat et Eiffage route Ile-de-France. La société L’Atelier des compagnons, membre d’un groupement candidat évincé au motif qu’il n’avait pas apporté la preuve de capacités suffisantes au regard des capacités minimales requises pour l’exécution des travaux, a saisi le juge du référé précontractuel afin qu’il annule la procédure de passation ainsi que la décision rejetant sa candidature et enjoigne le réexamen de cette candidature. Le Tribunal administratif de Versailles ayant fait droit à sa demande, le département des Yvelines et les sociétés Eiffage construction habitat et Eiffage route Ile-de-France ont saisi le Conseil d’Etat.
Celui-ci va censurer le jugement de première instance, estimant qu’aucun manquement aux règles de publicité et de mise en concurrence n’a été commis.
Plus précisément, le Conseil d’Etat considère – et c’est le premier intérêt de cet arrêt – que la décision du département des Yvelines de ne pas allotir le marché litigieux est justifiée.
L’allotissement n’est, en effet, pas un principe absolu aux termes de l’article 32-I de l’ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015. Ce dernier permet expressément d’y déroger, alors même que le marché comporterait des prestations distinctes, dans certaines hypothèses limitativement énumérées. Tel est le cas, en particulier, si la dévolution en lots séparés risque de rendre techniquement difficile ou financièrement plus coûteuse l’exécution de prestations.
En pratique, ces deux situations, tout comme les autres exceptions posées par le texte précité, donnent toutefois lieu à une interprétation stricte de la jurisprudence et sont rarement retenues.
Aussi, en admettant qu’elles sont bien caractérisées en l’espèce, le Conseil d’Etat semble marquer un assouplissement de sa position. S’appuyant sur un faisceau d’indices, il relève, s’agissant de la difficulté technique, d’une part, les caractéristiques de l’établissement, qui réunit une école primaire, un collège et un lycée dans une dizaine de bâtiments différents, d’autre part, la nécessité d’une coordination rigoureuse des prestataires en raison de la complexité de l’opération qui concerne l’ensemble de l’établissement tout en devant être réalisée sans interruption de son fonctionnement et en une seule phase sur deux années scolaires, enfin, les fortes contraintes de sécurisation des chantiers et des multiples accès à l’établissement liées aux flux permanent d’entrée et de sorties de plus de 3 000 personnes. Quant à l’aspect financier, il constate que l’allotissement aurait eu une incidence négative sur les délais d’exécution ainsi que sur le coût de location des bâtiments modulaires destinés à accueillir, pendant la durée des travaux l’ensemble des élèves, professeurs et personnels de l’établissement.
Le Conseil d’Etat opère ainsi un contrôle étendu sur le choix de l’acheteur d’allotir ou non le marché, plus approfondi que celui qu’il exerce sur la consistance de l’allotissement, limité à l’erreur manifeste d’appréciation (CE, 25 mai 2018, Hauts-de-Seine Habitat, req. n°417428).
Par ailleurs – et c’est le second intérêt de la présente décision – le haute juridique précise qu’une entreprise ne peut se prévaloir des capacités d’une de ses filiales, dont les certifications obtenues par celle-ci, afin de démontrer qu’elle dispose des garanties professionnelles et techniques suffisantes. Il n’en est autrement que si elle rapporte la preuve qu’elle disposera de ladite filiale en qualité de sous-traitante.
Cette exigence, sévère pour les candidats, permet néanmoins à l’acheteur de s’assurer que le candidat fera effectivement intervenir, pour l’exécution ultérieure du chantier, une entreprise disposant des qualifications requises.